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J’ai grandi en jouant dans l’amiante

J’ai grandi en jouant dans l’amiante

Jouer dans un carré de sable est passage presque obligé de l’enfance. Construire des châteaux, saccager des nids de fourmis ou trouver des vers de terre devenaient à ce moment le projet d’une vie. Du moins, c’était le mien.

Mes parents n’avaient pas besoin de m’en patenter un dans la cour. Non, moi mon gros carré de sable se trouvait juste derrière la maison familiale, à Thetford Mines.

Quand j’étais toute petite, les grosses «dompes» de résidus miniers provenant de l’exploitation d’amiante étaient mon terrain de jeu.

Je dévalais les buttes poussiéreuses – été comme hiver – aux commandes de mon trois-skis ou du quatre-roues à mon ami. À l’adolescence, je partais à l’heure du midi avec mes amis du secondaire arpenter ces montagnes, qui se trouvaient aussi en bordure de la cour d’école. On revenait les souliers remplis de sable en classe, juste à temps pour apprendre la trigonométrie.

Et voilà qu’aujourd’hui, à 23 ans, je perds mon innocence enfantine devant ces monticules aux allures lunaires. Le Journal révélait ce matin que ces montagnes, synonymes de «fun» dans ma tête d’enfant, pouvaient contenir jusqu’à 40% de fibres de chrysotile, élément qui compose l’amiante et qui, par le fait même, est dangereux pour la santé.

Encore la semaine passée, je jouais au sherpa en compagnie de sept de mes amis montréalais, en leur servant de guide à travers ce paysage emblématique de ma région.

Mais soyons clairs, j’ai toujours su que l’amiante était nocif pour la santé. Mais c’est ironiquement plus difficile à réaliser quand ça fait partie de ton quotidien. Quand une fine couche d’amiante s’accumule dans les vitres de ta voiture, dans les vêtements de ta corde à linge et que les mineurs dynamitent deux fois par jour à en faire trembler les murs de ta maison.

En fait, je l’ai réalisé une première fois à 16 ans, lors de mon premier voyage à Londres. Dans un musée, j’avais alors aperçu une roche sous verre, contenant des fibres de chrysotile sur laquelle on pouvait lire «ATTENTION, DANGER».

J’ai aussi pris conscience des risques de l’amiante quand ma prof de journalisme à l’université m’a demandé si mes problèmes de santé (j’étais toujours malade) étaient liés à mes 18 ans de vie commune avec les mines de mon enfance. «Non madame, j’ai juste un système immunitaire faible.»

On est désensibilisés

En recevant plusieurs messages concernant la «Une» de «MON» journal, j’ai aussi pris conscience que j’étais désensibilisée aux effets du minerai toxique, comme la majorité des Thetfordois.

«Y crois-tu, toi, à l’affaire sur Thetford?», me textait une amie d’enfance à 8h18 ce matin. Sur l’autre ligne, mon père blaguait sur le fait qu’il avait un «sac d’amiante» dans sa cave et que sa maison pourrait sans doute être rasée pour moins que ça.

Oui, une désensibilisation, parce que personne n’est mort d’amiantose dans mon entourage ou dans celui de mes amis proches. Désensibilisation, parce que depuis la dernière fermeture de mine en 2011, la Ville, que je défendrai toujours, essaie de se remettre tant bien que mal de ses pertes d’emplois et du «crash» économique qui s’en est suivi.

En tant que Thetfordoise, jamais je n’oublierai cette période d’exploitation minière qui s’est étendue sur plus de 100 ans. Les mines, qui occupent 30 % de notre territoire, nous rappellent tous les jours, non sans un brin de nostalgie, qu’on faisait autrefois partie d’une ville riche et prospère.

Mais oui, on a tendance à se fermer les yeux sur cet «or blanc», qui est devenu, au fil du temps, une menace à la «santé publique». Parce que lorsqu’on attaque l’amiante, nous, les habitants, nous sentons presque personnellement attaqués. Suffit de défiler mon fil Facebook pour en témoigner.

On a l’impression qu’«on ne nous lâchera jamais», «qu’on repasse des vieilles nouvelles» ou «qu’on est vue comme une population condamnée à mourir d’un cancer généralisé». Donc, permettez-moi ce cri du cœur au nom d’une population tannée d’être perçue comme des lépreux.

Toutefois, je reconnais qu’on ne peut plus faire fi de la situation. Notre animosité envers ces rapports du Ministère de la Santé doit mener à des actions directes. Ce n’est certainement pas en utilisant les résidus d’amiante pour faire de l’asphalte que l’on va améliorer notre sort.

Mais jouer à la victime ne servira à rien. On doit montrer à tous ceux qui ont raison de croire que l’amiante est nocif que Thetford Mines a changé.

Alors, si nous demandons aux médias comme le «mien» de passer à un autre appel, il faudrait, à notre tour aussi, prendre conscience des risques de l’amiante et accepter que cet «or blanc» a effectivement fauché un nombre considérable de vies.

Je souhaite (même si c’était vraiment le «fun») que les enfants d’aujourd’hui ne dévalent plus les monticules d’amiante en crazy carpet.

Source : Journal de Montréal

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